Ce poème n'est pas de ma composition, mais il a de la valeur car je l'ai récité lorsque j'avais 9 ans au théâtre de mon village natal, LIGNY.
SUR LA JETEE
La brise est Nord-Ouest, très forte
Et la jetée résonne sous les coups de la vague irritée.
Les barques des pêcheurs se hâtent vers le port
Au bras de son mari se cramponnant très fort
Son petit nez au vent à travers la voilette
Humant joyeusement l’écume qui volette
Une parisienne dit un peu gaîment
« Oh que j’aime la mer et que c’est amusant ».
A l’exclamation aussitôt retournée
Une femme du port, vieille, la peau tannée
De son doigt menaçant et sec montre l’horizon noir.
C’est par un temps pareil que voyant mal les feux qui signalent aux bateaux la pointe de la passe
Mon pauvre homme Jean-Pierre a donné tête basse
Contre un banc de galets qu’on aperçoit d’ici.
Mon père était à bord, un de mes frères aussi.
Ils ont péri tous trois, sous mes yeux presque à terre
Le vent soufflant ainsi des côtes d’Angleterre
Quand l’an dernier mon fils, matelot de l’Etat
Commandé pour carguer la voile du grand mât
En montant sur le pont se brisa les deux hanches
Et mourut en trois jours.
Et vers les vagues blanches, tendant son poing nerveux : oh la gueuze ! maudite, en as-tu pris assez de tous les âges
En as-tu fait assez de morts sur ton rivage
Avec ta rage aveugle et tes flots bondissants
En as-tu fait assez couler des pleurs de sang !
Vas, hurle, rugis et plains-toi grande lâche
Quand tu sangloterais sans repos, sans relâche
Malgré ta grosse voix tu ne pourras jamais étouffer mes sanglots !
Ah comme je te hais !!!
Les cheveux envolés, hagarde, fantastique,
La vieille ressemblait à la furie antique
Mêlant son anathème aux hurlements du vent.
Et je lui dis alors :
Cette mer si souvent implacable pour vous
Cette mer en colère, qui prit votre mari, votre enfant, votre père
Qui vous fit seule enfin, toute seule ici bas
Pourquoi la haïssant ne la quittez-vous pas ?
Elle me regarda d’abord comme étonnée
Puis, un instant après sa tête résignée tomba sur sa poitrine et d’un ton radoucit :
Quitter la mer Monsieur, mais j’en mourrais aussi !
C’est qu’elle est tout pour eux cette mer éternelle
C’est que fixés près d’elle, ils tirent tout en elle
C’est que perte ou profit, joie ou deuil, vie ou mort
Tout retourne vers elle et que tout d’elle sort.
C’est que c’est une loi fatale à l’âme humaine
De voir fleurir l’amour à côté de la haine
Et qu’il est d’ici bas par d’étranges concours
De ces choses qu’on hait en les aimant toujours !